Rapport sur les Droits de l'Homme
TUNISIE - Mars 2008
La Tunisie est une république constitutionnelle comptant quelque dix millions d’habitants, qui est dominée par un seul parti politique, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD). M. Zine El Abidine Ben Ali en assure la présidence depuis 1987. Lors de l’élection présidentielle tenue en 2004, le président Ben Ali s’était présenté contre trois candidats de l’opposition et il avait remporté le scrutin avec environ 94 % des suffrages. Le taux de participation avait dépassé les 90 %, encore que de l’avis d’observateurs ces chiffres soient considérablement exagérés. Au cours des élections législatives qui s’étaient déroulées en même temps, le RCD avait remporté 152 des 189 sièges à pourvoir. Les élections indirectes de 2005 pour la Chambre des conseillers, l’un des deux organes législatifs du pays, avait donné une large majorité au RCD. En règle générale, les autorités civiles exercent un contrôle effectif sur les forces de l’ordre.
Le droit des citoyens de changer leur gouvernement a été assorti de restrictions importantes. Selon des organisations non gouvernementales (ONG) tant nationales qu’internationales, les forces de sécurité auraient torturé ou maltraité des personnes incarcérées ou détenues et elles auraient procédé à des arrestations et à des détentions arbitraires. Ces forces ont agi dans l’impunité et avec l’approbation d’officiels de haut niveau. La détention prolongée au secret et avant les procès demeure un problème grave. Le gouvernement a porté atteinte aux droits des citoyens relatifs au respect de la vie privée et il a maintenu d’importantes restrictions à la liberté d’expression, de la presse, de réunion et d’association. Le gouvernement a continué de faire preuve d’intolérance envers les critiques publiques et il a eu recours à des manœuvres d’intimidation, à des enquêtes judiciaires, au système pénal, à des arrestations arbitraires, à des assignations à résidence et à la restriction des déplacements afin de dissuader les militants des droits de l’homme et de l’opposition de le critiquer. Par ailleurs, la corruption demeure préoccupante.
RESPECT DES DROITS DE L’HOMME
Section 1 Respect de l’intégrité de la personne, y inclus la protection contre :
a. Mise à mort arbitraire ou illicite
Aucune exécution à caractère politique n’a été commise par le gouvernement ou l’un de ses agents.
En mars 2006, selon l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), Bechir Rahali, le chef du commissariat de la Cité Ennour à El Ouradia IV, Tunis, aurait causé la mort de Tarek Ayari en lui assénant un coup sur la tête avec le manche d’une pioche alors qu’il tentait d’échapper à une descente de police. Abandonné sur les lieux sans qu’aucun secours ne lui soit porté, il est ultérieurement décédé des suites de ses blessures. Aucune enquête n’a été ouverte et officiellement aucune plainte n’aurait été portée.
b. Disparition
Aucune disparition à caractère politique n’a été signalée.
c. Torture et autres formes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
De telles pratiques sont interdites par la loi ; pour autant, selon les organisations de défense des droits de l’homme, les forces de sécurité auraient torturé des détenus pour les forcer à faire des aveux et décourager toute résistance. Les formes de torture qui auraient été pratiquées regroupent les sévices sexuels ; la privation de sommeil ; les chocs électriques ; la submersion de la tête sous l’eau ; les coups assénés avec la main, des bâtons ou des matraques ; la suspension de la victime, parfois les mains menottées, à la porte d’une cellule ou à une barre métallique jusqu’à la perte de conscience ; et des brûlures de cigarettes. D’après Amnesty International (AI) et Human Rights Watch (HRW), des policiers et des gardiens de prison ont eu recours à des agressions sexuelles, ou menacé de le faire, à l’encontre de l’épouse ou des filles de prisonniers afin d’obtenir des informations de ces derniers, de les intimider ou de les punir.
Les accusations de torture concernant des cas précis étaient difficiles à prouver, et en règle générale les autorités n’ont pas pris les mesures nécessaires pour enquêter sur les allégations ou punir les coupables. Souvent, les autorités auraient empêché les victimes d’actes de torture d’avoir accès à des soins médicaux tant qu’il restait des traces de sévices. Le gouvernement affirme qu’il enquête sur toutes les plaintes de torture et de mauvais traitements qui sont déposées auprès du Procureur de la République et il note que les personnes qui se disent victimes d’actes de torture accusent parfois la police sans porter plainte ; or le dépôt d’une plainte est une démarche indispensable à l’ouverture d’une enquête. Cependant, selon des avocats de la défense et diverses organisations nationales et internationales des droits de l’homme, la police a régulièrement refusé d’enregistrer ces plaintes. En outre, les juges ont classé des affaires sans ordonner d’enquêtes et ils ont accepté comme preuves à charge des aveux qui auraient été obtenus sous la torture. En l’absence de plainte en bonne et due forme, le gouvernement a toujours la possibilité de mener une enquête administrative sur les allégations de torture ou de mauvais traitement de détenus ; lorsque le cas s’est produit, les conclusions de l’enquête n’ont pas été rendues publiques ni communiquées aux avocats des prisonniers concernés.
Dans la mesure où le recours à la torture vise à obtenir des informations ou des aveux, les allégations de torture étaient plus fréquemment associées aux interrogatoires, aux autres phases initiales de l’instruction et aux centres de détention provisoire plutôt qu’aux centres pénitenciers. Des militants des droits de l’homme, citant des témoignages de prisonniers, ont dit que la torture était le plus souvent pratiquée dans des locaux du ministère de l’Intérieur. Les prisonniers politiques, les Islamistes et les détenus accusés d’activités liées au terrorisme seraient soumis à un traitement plus sévère que celui qui est réservé aux autres prisonniers et détenus.
Plusieurs ONG nationales et internationales ont signalé de multiples cas de torture tout au long de l’année.
Selon le Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT), entre décembre 2006 et le 22 janvier 2007, les autorités auraient ligoté Mohamed Amine Jaziri après lui avoir bandé les yeux et elles l’auraient battu à coups de câbles électriques quand il était en garde à vue. Aucun élément nouveau n’était disponible à la fin de l’année.
Le 6 avril, selon l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISPP), des agents de la prison de Mornaguia ont roué de coups sur la tête et sur le corps Oualid Layouni, qui était détenu à la prison depuis le 16 janvier. Il aurait été confiné dans un espace restreint, sans lumière naturelle ni aération, et il aurait été soumis à des privations de sommeil.
Dans un communiqué de presse en date du 2 novembre, Amnesty International accuse des gardiens de prison d’avoir torturé
Ousama Abbadi, Mohammed Amine Jaziri, Ramzi el Aifi, Oualid Layouni et Mahdi Ben Elhaj Ali, le 16 octobre, alors qu’ils étaient en détention provisoire à la prison de Mornaguia, accusés d’actes liés au terrorisme. Des gardiens les auraient ligotés et frappés à coups de poing et de pied. Chez Ousama Abbadi, ces mauvais traitements ont entraîné une hémorragie interne à l’œil droit et une blessure ouverte à la jambe.
En outre, dans son communiqué de presse du 2 novembre, Amnesty International ajoute que d’autres personnes détenues à la prison de Mornaguia ont été traînées dans un couloir, nues. Un prisonnier aurait été violé par insertion d’un bâton dans l’anus.
Le 30 décembre, le Tribunal de première instance de Tunis a condamné trente Tunisiens qui étaient accusés d’actes liés au terrorisme. Les condamnations s’échelonnaient entre cinq ans d’emprisonnement et la peine de mort. Selon des informations de presse, de nombreux accusés ont nié les faits qui leur étaient imputés et ils ont dit n’avoir signé des aveux qu’après avoir été torturés par les forces de sécurité.
Aucun élément nouveau n’a été signalé en juin 2006 au sujet de l’affaire Aymen Ben Belgacem Dridi. La section de Bizerte de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’homme (LTDH)a rapporté qu’Aymen Dridi, accusé d’actes liés au terrorisme et détenu à la prison de Borj er-Roumi, aurait été agressé par des agents à coups de poing et à coups de pied et il aurait subi le supplice de la falqa (coups infligés sur la plante des pieds).
Tout au long de l’année, la police a agressé des militants des droits de l’homme et des membres de l’opposition.
L’hebdomadaire d’opposition en langue arabe al-Mawqif a rapporté que le 13 juin, la police avait attaqué des syndicalistes à Kasserine lors d’une manifestation. Des policiers auraient infligé des blessures à Khaled Barhoumi, dirigeant syndicaliste à l’échelon régional, qui a été traité pour fracture du crâne.
Le 24 août, selon l’organisation Reporters sans frontières (RSF), dix policiers en tenue civile ont agressé le journaliste Aymen Rezgui alors qu’il quittait une conférence de presse du Parti démocratique progressif (PDP), qui est un parti de l’opposition. Le journaliste aurait été blessé à la main, et toutes ses notes et son équipement auraient été confisqués.
En mai 2006, selon de multiples témoins et groupes de défense des droits de l’homme, des policiers ont agressé des avocats qui participaient à un sit-in de trois semaines organisé pour dénoncer l’adoption d’une nouvelle loi portant création d’un institut de formation des avocats. À cette occasion, des agents auraient attaqué plusieurs avocats, dont Ayachi Hammami, Abderraouf Ayadi et Abderrazak Kilani, lesquels ont tous été hospitalisés, selon un communiqué du CNLT.
Conditions dans les pénitenciers et centres de détention
En règle générale, les conditions carcérales n’étaient pas conformes aux normes internationales. La surpopulation et l’accès limité aux soins médicaux ont gravement compromis la santé des prisonniers. Au cours de l’année, certaines sources ont fait état de cas où des prisonniers blessés ou malades se seraient vu refuser un accès rapide à des soins médicaux ont été signalées. Le gouvernement autorise le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), mais pas d’autres observateurs indépendants en matière de droits de l’homme, à visiter les institutions carcérales.
Selon les organisations des droits de l’homme, les conditions carcérales ne répondent toujours pas aux normes acceptables minimales. L’hygiène est déplorable, et les prisonniers ont rarement accès à des douches et à des robinets. Une quarantaine, voire une cinquantaine, de prisonniers seraient couramment entassés dans une seule cellule de 18 m2, et jusqu’à 140 dans une cellule de 30 m2. La plupart des prisonniers étaient contraints de partager un lit ou de dormir à même le sol. D’anciens prisonniers et d’autres encore incarcérés ont dit qu’en raison de l’insuffisance des installations sanitaires jusqu’à cent détenus devaient utiliser le même robinet et le même coin d’aisances, ce qui créait de graves problèmes au plan de l’hygiène. Les maladies contagieuses, particulièrement la gale, sont répandues et les prisonniers n’ont pas accès à des soins médicaux adéquats. En outre, l’imposition de mesures discriminatoires et arbitraires, telle la restriction des visites familiales, rend les conditions carcérales encore plus pénibles, surtout pour ceux qui demandent réparation en raison des mauvais traitements et des conditions de détention qui leur sont infligés.
Par suite du rapport que l’organisation Human Rights Watch a rendu public en 2005 et dans lequel elle décrit la pratique de l’isolement cellulaire prolongé à laquelle sont soumis les prisonniers politiques, le gouvernement a déclaré en 2005 qu’il avait éliminé cette pratique. Pour autant, HRW a indiqué que le gouvernement continuait à isoler en petits groupes certains prisonniers politiques, dont la plupart étaient des dirigeants du parti islamiste non reconnu An-Nahdha.
D’après les témoignages de prisonniers et de détenus, les conditions de détention des femmes sont généralement meilleures que celles des hommes. Les détenues et les condamnées seraient traitées de la même façon.
Le CNLT rapporte que des prisonniers de droit commun avaient reçu l’ordre de se tenir à l’écart des prisonniers politiques et qu’ils avaient été sévèrement punis pour être entrés en contact avec eux.
Le CICR a poursuivi ses visites dans les établissements pénitenciers et les centres de détention du pays. Conformément aux modalités prévues par le CICR, les observations et recommandations des délégués sont communiquées aux autorités sur une base confidentielle et bilatérale. Le gouvernement n’a pas autorisé les médias à visiter ces établissements ni à évaluer les conditions de détention.
En novembre 2006, le gouvernement a renforcé les attributions du Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales en autorisant les visites sans préavis et les inspections des établissements du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Justice. Les rapports du Comité ne sont pas rendus publics.
d. Arrestation ou détention arbitraires
L’arrestation et la détention arbitraires sont interdites par la loi, mais les autorités ne se conforment pas à cette interdiction.
Selon l’AISPP, des centaines de personnes auraient été arrêtées depuis 2003 pour avoir consulté des sites Internet liés au terrorisme et elles ont été détenues sans bénéficier d’une procédure régulière ou sans preuves suffisantes établissant la commission d’actes criminels.
D’après Amnesty International et des organisations nationales des droits de l’homme, la police a procédé à l’arrestation de dizaines de personnes à partir de la fin décembre 2006, suite à des opérations sécuritaires visant à perturber une cellule armée qui préparait des attentats terroristes. Des familles ont essayé d’obtenir des informations sur leurs proches, mais les autorités ne leur en auraient donné aucunes. Selon Amnesty International, il est à craindre que ces personnes ne soient gardées au secret dans des locaux des services de sécurité de l’État au ministère de l’Intérieur, où elles courent le risque d’être torturées ou maltraitées. Selon des informations de presse, trente personnes soupçonnées de porter atteinte à la sécurité de l’État ont été accusées et reconnues coupables, mais on ne sait pas combien sont détenues en attente d’un procès.
Le 24 mai, selon RSF, la police a mis en garde à vue pendant une douzaine d’heures un membre fondateur de l’AISPP, Lassaad Jouhri, pour l’interroger sur son intention d’accompagner des représentants de deux ONG internationales, Human Rights First (HRF) et Frontline, à la prison d’El Kef.
Le rôle de police et des forces de sécurité
Plusieurs organismes de maintien de l’ordre relèvent du ministère de l’Intérieur, notamment : la police, compétente au premier chef dans les grandes villes ; la Garde nationale, qui intervient dans les petites villes et en milieu rural ; et les structures de la Sûreté nationale, chargées de surveiller les groupes et les individus que le gouvernement considère comme dangereux, par exemple les partis d’opposition et leurs dirigeants, les médias, les intégristes et les militants des droits de l’homme.
D’une manière générale, les organismes de maintien de l’ordre sont disciplinés, organisés et efficaces ; néanmoins, des cas de petite corruption et de brutalités policières ont été signalés. Les forces de l’ordre opèrent dans l’impunité et avec l’appui de la hiérarchie. La police a attaqué des dissidents et des opposants.
La Haute Institution des forces de sécurité intérieure et de la douane, qui relève du ministère de l’Intérieur, supervise les agents chargés de l’application de la loi au ministère de l’Intérieur et à la Direction générale des douanes. Sa mission déclarée est de renforcer le respect des droits de l’homme et d’améliorer le maintien de l’ordre ; toutefois, on ne dispose d’aucune information sur son fonctionnement non plus que sur les éventuelles mesures disciplinaires qui auraient pu être prises à l’encontre d’agents de l’ordre ou de gardiens de prison.
Arrestation et détention
La loi stipule que la police doit être munie d’un mandat d’arrêt avant d’arrêter un suspect, sauf en cas de crime grave ou de flagrant délit ; des arrestations et des détentions arbitraires ont malgré tout été signalées. Le code pénal fixe à six jours le délai de la garde à vue entre l’arrestation et l’inculpation, le suspect pouvant être détenu au secret. Toutefois, cette règle n’est pas observée de manière systématique. Par exemple, un rapport publié au cours de l’année par le CNLT fait état de vingt-quatre cas dans lesquels la garde à vue aurait dépassé les six jours autorisés. La police a l’obligation d’informer tout suspect de ses droits au moment de son arrestation, de notifier immédiatement sa famille et de prendre scrupuleusement note de la date et de l’heure de ces communications, mais ces règles sont parfois ignorées. Des personnes arrêtées ont pu communiquer avec leur famille lorsqu’elles n’étaient pas détenues au secret, encore que le gouvernement n’ait pas toujours aidé les familles à localiser leurs proches.
Les détenus ont le droit d’être informés des faits qui leur sont reprochés avant leur interrogatoire et de demander à passer une visite médicale. En revanche, ils n’ont pas le droit d’être représentés par un avocat pendant la garde à vue. Des avocats, des défenseurs des droits de l’homme et des personnes interpellées affirment que les autorités prolongent illégalement le délai de garde à vue en falsifiant la date d’arrestation. Certains policiers extorqueraient de l’argent aux familles de personnes innocentes, en échange de quoi ils abandonneraient les accusations émises contre elles.
La loi autorise la mise en liberté sous caution, et les personnes arrêtées ont le droit d’être représentées par un avocat pendant la lecture de l’acte d’accusation. Le gouvernement octroie une aide judiciaire aux indigents. Au moment de la lecture de l’acte d’accusation, le juge d’instruction peut autoriser la mise en liberté de l’accusé jusqu’au procès ou l’astreindre à la détention provisoire.
Lorsqu’il s’agit de crimes passibles de plus de cinq ans d’emprisonnement ou qui affectent la sûreté nationale, la détention provisoire peut atteindre six mois, cette période initiale pouvant être prolongée deux fois par les tribunaux pour une période supplémentaire de quatre mois à chaque fois. Lorsqu’il s’agit de crimes pour lesquels la peine maximale prévue par la loi est inférieure à cinq ans d’emprisonnement, un tribunal ne peut prolonger la détention provisoire initiale qu’une seule fois, et pour trois mois seulement. Pendant la phase de la détention provisoire, un juge instruit l’affaire, entend les plaidoyers, verse au dossier les pièces à charge et à décharge qui lui sont communiquées par les parties et décide de la suite à donner à leurs requêtes. La prolongation abusive du délai de détention provisoire a été couramment dénoncée.
Amnistie
Des juges et le gouvernement ont exercé le droit qu’ils ont d’ordonner l’élargissement de prisonniers ou de suspendre leur peine, souvent dans le cadre d’une libération assortie d’une mise à l’épreuve.
Le 24 juillet, le président Ben Ali a ordonné l’élargissement de 21 prisonniers en prévision de la fête nationale du 25 juillet commémorant l’établissement de la République tunisienne. Au nombre des personnes libérées figurait Maître Mohammed Abbou, incarcéré pour avoir publié sur Internet un article critique à l’égard des prisons tunisiennes et du président Ben Ali. Les autres prisonniers libérés étaient affiliés au parti intégriste non reconnu An-Nahdha.
Le 5 octobre, selon l’ONG non enregistrée Liberté et Égalité, les autorités ont relâché vingt-sept prisonniers incarcérés à Borj Er Roumi et à Mornaguia. Deux d’entre eux, Aymen Mejri et Anouar Hannachi, avaient été condamnés à purger une peine de prison, et ils ont été placés sous contrôle administratif pendant cinq ans. Les vingt-cinq autres étaient en détention provisoire et, partant, non assujettis au contrôle administratif après leur libération.
Le 7 novembre, selon des informations de presse, le président Ben Ali a gracié sept prisonniers à l’occasion du vingtième anniversaire de son arrivée au pouvoir. Il s’agissait de
Karim Harouni, d’Ali Chniter, de Lotfi Senoussi, de Mohamed Salah Tsouma, de Sakher Fatmi, d’Abdellatif Bouhjila et de Ramzi Bettibi.
e. Déni d’un procès équitable et public
La loi garantit l’indépendance du pouvoir judiciaire ; pour autant, le pouvoir exécutif et le président exercent une forte influence sur l’appareil judiciaire, surtout dans les affaires à caractère politique. Le pouvoir exécutif a un droit de regard indirect sur le système judiciaire dans la mesure où il décide de la nomination, de l’affectation, de la titularisation et du transfert des juges, rendant ainsi l’appareil judiciaire sensible aux pressions. En outre, c’est le président de la République qui est à la tête du Conseil supérieur de la magistrature, dont la plupart des membres sont nommés par lui.
La loi donne aux citoyens le droit de recours devant un tribunal administratif pour porter plainte contre un ministère, encore que les responsables du gouvernement respectent rarement les avis du tribunal, du reste non contraignants. Le gouvernement a autorisé des observateurs affiliés à des missions diplomatiques et des journalistes étrangers à assister à des procès. La décision de permettre à des observateurs d’assister à des audiences de tribunaux militaires est laissée à la discrétion du tribunal.
À la fin de l’année, l’Institut de formation des avocats, dont la création avait été entérinée par une loi signée en 2006 par le président Ben Ali, n’était toujours pas opérationnel. L’Ordre national des avocats est hostile à ce projet parce que la création de cet institut – et le contrôle gouvernemental des admissions à cet établissement – saperait l’indépendance du judiciaire en donnant au gouvernement le pouvoir de contrôler les admissions au barreau. L’Ordre national des avocats a demandé aux autorités qu’elles le laissent participer à la gestion de l’établissement. En mai 2006, la police a agressé des membres de l’Ordre qui participaient à un sit-in pour dénoncer la nouvelle loi.
Le système des tribunaux civils comporte trois niveaux hiérarchiques. À la base de la hiérarchie juridictionnelle, on trouve les tribunaux cantonaux, au nombre de 51, à juge unique. Au deuxième niveau, on trouve les tribunaux de première instance, qui sont au nombre de 24. Ils sont la juridiction d’appel des jugements des tribunaux cantonaux, mais ils ont aussi compétence en premier ressort pour les crimes. La Cour de cassation (l’équivalent de la Cour suprême des États-Unis) est la cour d’appel de dernier ressort. Elle statue sur le droit et non sur le fond. L’organisation du système des tribunaux pénaux est calquée sur celle des tribunaux civils. Dans la plupart des cas, le tribunal, composé d’un ou de plusieurs magistrats, domine le déroulement du procès, et la défense a peu d’occasions d’intervenir de façon substantive.
Les tribunaux militaires relèvent du ministère de la Défense. Ils sont compétents pour les affaires mettant en cause du personnel militaire et des civils accusés de porter atteinte à la sûreté de l’État. Les personnes condamnées par un tribunal militaire peuvent se pourvoir en appel devant la Cour de cassation. Au cours de l’année, selon Amnesty International, les tribunaux militaires ont condamné au moins 15 civils à des peines d’emprisonnement allant jusqu’à 10 ans.
Par ailleurs, un tribunal administratif traite les litiges entre les citoyens et le gouvernement.
Déroulement des procès
La loi confère les mêmes droits à tous les citoyens, y compris le droit à un procès équitable ; pour autant, des ONG nationales et internationales affirment que ce principe n’est pas toujours respecté.
Les procès devant les tribunaux ordinaires de première instance, ainsi que ceux devant les cours d’appel, sont ouverts au public. La loi confère à l’accusé le droit d’être présent à son procès, d’être défendu par un avocat et d’interroger les témoins ; dans la pratique, toutefois, les juges ne respectent pas toujours ces principes. La loi permet l’ordonnance de contumace, c’est-à-dire le jugement d’un accusé en son absence quand celui-ci fuit la justice. L’accusé comme le ministère public peuvent faire appel d’un jugement rendu par un tribunal inférieur.
La loi garantit la présomption d’innocence ; toutefois, ce principe a été parfois négligé dans la pratique, en particulier dans les affaires délicates au plan politique. Le défendeur peut demander le remplacement du juge qui instruit son procès s’il estime que celui-ci n’est pas impartial ; toutefois, les juges ne sont pas tenus de se récuser.
Les atermoiements excessifs sont demeurés préoccupants. Le droit à la diligence de la procédure judiciaire n’est pas reconnu, et il n’existe aucune limite légale à la durée de l’instruction. Des avocats de la défense se sont plaints du fait que les juges les empêchaient parfois de faire entendre des témoins à décharge ou de procéder au contre-interrogatoire des principaux témoins à charge. En outre, ils ont affirmé que les tribunaux tardaient souvent à les informer de la date des procès ou qu’ils ne leur laissaient pas suffisamment de temps pour préparer leur dossier. Selon certaines allégations, des juges auraient restreint l’accès des avocats aux pièces à conviction et aux dossiers pertinents du tribunal, allant dans certains cas jusqu’à obliger tous les avocats chargés d’une même affaire à se présenter tous en même temps dans leur cabinet pour examiner les documents, sans les autoriser à en faire de copies.
Selon des avocats et des organisations des droits de l’homme, les tribunaux refusent régulièrement d’enquêter sur les allégations de torture et de mauvais traitements, et ils acceptent à titre de preuves les aveux obtenus sous la torture. En outre, ces groupes affirment que la nature sommaire des audiences des tribunaux a parfois empêché les délibérations de se faire dans la sérénité et que le caractère erratique du calendrier et des procédures des tribunaux a eu pour effet de décourager la présence d’observateurs aux procès politiques.
Nonobstant la codification du droit de la famille, dispositions relatives à l’héritage incluses, il arrive que les juges de droit civil appliquent la charia (droit islamique) dans les affaires intéressant la famille lorsqu’il y a conflit entre les deux systèmes. Il y a des parents qui établissent des contrats de vente en bonne et due forme entre eux et leurs enfants pour s’assurer que leurs filles recevront une part d’héritage égale à celle de leurs fils : c’est une façon pour eux de se soustraire à l’application de la charia dans ce domaine.
Prisonniers et détenus politiques
Le gouvernement a nié détenir des prisonniers politiques et, s’il y en a, on n’en connaît pas le nombre. Selon des organisations des droits de l’homme, environ 2 000 personnes auraient été arrêtées et emprisonnées depuis 2005 pour avoir commis des actes terroristes ou avoir eu l’intention d’en commettre, et ce en l’absence de preuves suffisantes en la matière. D’après des avocats et des militants des droits de l’homme, un grand nombre de ces personnes auraient été torturées dans des locaux du ministère de l’Intérieur et contraintes de signer des aveux.
D’après l’AISPP, il resterait parmi les prisonniers politiques vingt-quatre personnes qui faisaient partie d’un groupe d’islamistes arrêtés à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Très peu d’entre eux avaient été reconnus coupables d’avoir commis des actes violents. La plupart des personnes considérées comme des prisonniers politiques ou d’opinion par les organismes internationaux de défense des droits de l’homme avaient été arrêtées pour avoir enfreint les lois interdisant l’adhésion à des organisations non reconnues et répandu de fausses informations visant à troubler l’ordre public. Beaucoup avaient été arrêtées pour avoir diffusé des informations émanant d’An-Nahdha ou d’autres organisations du même genre. D’anciens prisonniers politiques ont déclaré que le marquage de leurs pièces d’identité les exposait à un traitement plus sévère.
Le CICR et le Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales ont été autorisés à visiter les prisons et les centres de détention.
Procédure judiciaire civile et voies de recours
Il existe des tribunaux pour recevoir les plaintes de violation des droits de l’homme, mais l’indépendance et l’impartialité de l’appareil judiciaire ont été compromises dans les affaires où le gouvernement était impliqué. Les recours administratifs étaient possibles par requête auprès du médiateur de la République tunisienne et du tribunal administratif, mais les avis rendus par ces instances ne sont pas juridiquement contraignants et ils sont souvent ignorés par les ministères et autres organismes publics.
f. Immixtions arbitraires dans la vie privée, la famille, le domicile ou la correspondance
La Constitution interdit de telles actions « sauf dans les cas exceptionnels prévus par la loi » ; mais dans la pratique, le gouvernement n’a pas respecté cette interdiction. Il est arrivé à la police de procéder à des perquisitions sans être munie du mandat obligatoire si les autorités considéraient que la sûreté de l’État était en jeu. Des ONG nationales et des militants en faveur de la société civile ont dit que des membres des forces de sécurité s’étaient introduits par effraction dans leurs bureaux quand il n’y avait personne pour y perquisitionner sans mandat.
Les autorités peuvent invoquer la sûreté de l’État pour justifier les écoutes téléphoniques. Selon de nombreux cas signalés par des ONG, des organes de presse et des diplomates, les autorités auraient intercepté des messages transmis par télécopieur ou par courrier électronique. La loi n’autorise pas explicitement de telles activités, mais le gouvernement argue que le Code de procédure pénale confère implicitement cette autorité aux juges d’instruction. Les opposants politiques ont fait état d’interruptions fréquentes, et parfois prolongées, des services de téléphonie, de télécopie et d’accès à Internet, à leur domicile comme sur leur lieu de travail. Les militants des droits de l’homme ont accusé le gouvernement d’utiliser le Code des services postaux, qui interdit de manière vague et large tout courrier de nature à menacer l’ordre public, pour intercepter leur courrier et les empêcher de recevoir des publications venant de l’étranger. Les forces de sécurité surveillent régulièrement les activités, les appels téléphoniques et les communications par Internet des membres de l’opposition, des islamistes et des militants des droits de l’homme, dont certains ont été mis sous surveillance policière.
Selon des militants des droits de l’homme, les autorités auraient puni des membres de la famille de militants islamistes en faisant en sorte que ceux-ci se voient refuser un emploi, des possibilités en matière d’éducation, un permis d’ouverture de commerce ainsi que le droit de se déplacer, et ce en raison des activités de leurs proches. En outre, les membres de la famille des militants sont soumis à une surveillance policière et à des interrogatoires.
Selon des militants des droits de l’homme, les anciens détenus soupçonnés d’être membres d’An-Nahdha ont eu du mal à trouver un emploi après leur libération à cause des agissements des autorités. D’autres prisonniers politiques, une fois libérés, ont eu du mal à obtenir du ministère de l’Intérieur le document prouvant qu’ils avaient un casier judiciaire vierge et, même lorsqu’ils n’avaient pas été emprisonnés, les militants politiques et les islamistes se sont vu confisquer leur carte d’identité, ce qui leur a occasionné des problèmes lorsqu’ils voulaient avoir accès aux soins de santé, signer un contrat de bail, acheter ou conduire une voiture, avoir accès à leur compte en banque ou toucher une pension. La police peut procéder à des vérifications d’identité quand bon lui semble et toute personne qui n’est pas en mesure de présenter sa carte d’identité peut être détenue par la police jusqu’à ce que son identité soit établie par cette dernière. Lasaad Johri, membre de l’AISPP, n’a pas de carte d’identité depuis 1999.
Section 2 Respect des libertés civiles, y inclus :
a. Liberté d’expression et de la presse
La Constitution garantit une mesure limitée de liberté d’expression et de la presse mais dans la pratique, le gouvernement n’a généralement pas respecté ce principe. Il a restreint la liberté de la presse et poussé les journalistes, les directeurs de rédaction et les éditeurs à pratiquer l’autocensure. Les forces de sécurité ont étroitement surveillé les activités de la presse étrangère et nationale.
Conformément à la loi, la presse écrite n’est pas soumise à une autorisation administrative, mais elle est strictement contrôlée à travers l’autorisation que doivent détenir les imprimeurs. La presse écrite doit faire une demande d’enregistrement de droit d’auteur auprès du ministère de l’Intérieur, lequel délivre un récépissé valable pendant un an et qui constitue en fait une autorisation officielle de publication. Le Code de la presse stipule que ce récépissé doit être délivré avant qu’une publication ne puisse être imprimée, ce qui revient à interdire les publications non autorisées. En outre, le Code de la presse met les éditeurs dans l’obligation d’avertir le ministère de l’Intérieur en cas de changement d’imprimeurs. Les imprimeurs et les éditeurs qui contreviennent à ces règles sont également passibles d’amendes individuelles substantielles pour chaque exemplaire tiré.
De même, les médias électroniques sont contrôlés à travers l’attribution ou le refus d’une bande de fréquence par l’Agence tunisienne des fréquences, laquelle relève du ministère des Technologies de la communication. Ces licences, ou agréments, font l’objet de strictes restrictions.
La loi interdit aux citoyens de discuter des dossiers de politique nationale sur les stations de radio et chaînes de télévision étrangères durant les deux semaines qui précèdent des élections nationales.
Les forces de sécurité questionnent souvent les citoyens qui ont été vus en train de parler à des étrangers, que ces derniers soient de passage ou qu’ils résident dans le pays, et en particulier lorsqu’il s’agit de journalistes et de membres d’organismes de défense des droits de l’homme. Le gouvernement a tenté d’empêcher la tenue de réunions privées avec des diplomates étrangers et d’influencer des réunions publiques en faisant encercler les lieux par des dizaines de policiers en civil. Lors de la Journée mondiale de la liberté de la presse, par exemple, une haie de policiers en civil avait été formée tout au long de la rue menant au siège de la RTT (Radio et Télévision tunisienne, organisme étatique) pour bloquer une manifestation qui devait avoir lieu en faveur de la liberté de la presse.
Le gouvernement a déclaré que 950 publications et journaux étrangers étaient distribués dans le pays et que 90 % des journaux tunisiens étaient « privés » et « jouissaient de l’indépendance éditoriale ». Toutefois, sur les huit grands quotidiens en circulation, deux sont la propriété du gouvernement, deux autres appartiennent au parti au pouvoir et deux autres, bien que supposément privés, reçoivent des consignes de hauts responsables du gouvernement. Tous les médias sont soumis à d’intenses pressions gouvernementales en matière de contenu.
On a dénombré sept journaux d’opposition à faible circulation. Cinq d’entre eux ont reçu des subventions publiques en vertu d’une loi qui accorde des crédits aux journaux affiliés à des partis d’opposition dont des membres siègent au parlement. Deux autres, al-Mawqif et Mouwatinoun, n’ont pas bénéficié d’une telle assistance du fait que leurs partis respectifs ne sont pas représentés au parlement. Le 10 janvier, le Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés (FDTL), qui est un parti d’opposition, a commencé à publier le journal Mouwatinoun.
S’il a autorisé les critiques publiques dans les journaux d’opposition, le gouvernement y a mis des entraves à ces mêmes critiques dans la presse de grande diffusion. Certains particuliers et certains groupes ont subi des représailles pour avoir tenu des propos critiques à l’égard du pouvoir. Le 9 mars, par exemple, les autorités ont condamné par contumace le journaliste et défenseur de la liberté de la presse Mohamed Fourati à quatorze mois de prison parce qu’il était membre du parti An-Nahdha, non reconnu. Ce journaliste avait participé antérieurement à la rédaction du journal d’opposition al-Mawqif pour lequel il avait rédigé plusieurs articles peu flatteurs envers le gouvernement. Dans un premier temps, le tribunal l’avait acquitté, mais le ministère public a interjeté appel deux fois, jusque devant la Cour de cassation, et Mohamed Fourati a fini par être reconnu coupable. Il vivait à l’étranger lorsqu’il a été condamné.
Les 2, 16 et 28 août, le journaliste Omar Mestiri a dû comparaître au tribunal avant que les autorités n’acceptent d’abandonner l’accusation de diffamation qui pesait contre lui. Mohamed Baccar, un avocat, avait porté plainte contre le journaliste qui avait émis des doutes, dans un article, sur les circonstances dans lesquelles l’avocat avait réadmis au tableau de l’Ordre alors qu’il en avait été rayé après avoir été reconnu coupable de fraude et d’usage de faux. De l’avis des militants, l’accusation portée contre Osmar Mestiri avait une motivation politique ; celui-ci avait publié deux articles sur la corruption au sein du gouvernement peu de temps avant que Mohamed Baccar ne porte plainte contre lui.
En octobre 2006, le leader politique de l’opposition Moncef Marzouki a été mis en examen pour activités « de nature à troubler l’ordre public », suite à sa participation, début octobre, à des émissions d’al-Jazira au cours desquelles il avait critiqué le gouvernement et prôné la désobéissance civile. Moncef Marzouki a quitté le pays avant l’ouverture de son procès. Aucun élément nouveau n’était signalé à la fin de l’année.
Il n’a été signalé aucun cas d’arrestation de journalistes liée exclusivement à l’exercice de leur métier ; toutefois, certains journalistes impliqués dans des activités d’opposition ont été détenus et interrogés.
Le 30 novembre, selon des informations de presse, les autorités ont arrêté deux journalistes qui travaillaient pour la chaîne de télévision privée al-Hiwar et qui couvraient une réunion syndicale. Les autorités les ont remis en liberté après un interrogatoire de deux heures.
Le 9 avril, selon le Comité pour la protection des journalistes), quinze policiers auraient encerclé le journaliste Lotfi Hajji à sa sortie d’une réunion du parti d’opposition PDP et ils l’auraient violemment bousculé. Le 29 juin, selon la section tunisienne de la Campagne internationale pour le respect des droits de l’homme, la police aurait pris à partie Lotfi Hajji et son confrère Aymen Rezki alors qu’ils tentaient de se rendre à un séminaire sur la liberté d’expression qu’organisaient conjointement le PDP et le FDTL. Selon RSF, à trois occasions entre le 20 et le 27 septembre, les autorités ont empêché Lotfi Hajji, de force, d’entrer dans les bureaux du PDP où il voulait se rendre pour couvrir une grève de la faim.
Le 6 juin, les autorités ont prolongé de vingt-six mois la durée de l’exil interne imposé au journaliste Abdullah Zouari, lequel a travaillé à une époque pour Al-Fajr, l’hebdomadaire du parti An-Nahdha. Abdullah Zouari est sous contrôle administratif et en exil interne depuis 2004. Selon RSF, aucune explication n’a été donnée pour la prolongation de son exil.
Le 4 décembre, le tribunal cantonal de la banlieue de Sfax a condamné le journaliste Slim Boukhdir à un an de prison et à une amende de cinq dinars pour « outrage à fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions », « atteinte aux bonnes mœurs » et « refus de présenter ses papiers d’identité à la police ». Le 26 novembre, il a été arrêté alors qu’il se rendait au commissariat de police de Khaznadar pour achever les formalités de demande de passeport ; il avait fait une grève de la faim de quinze jours, début novembre, pour obtenir le droit d’avoir un passeport. Le 4 décembre, il a été condamné à un an de prison pour avoir, selon les chefs d’accusation, insulté un policier, utilisé un langage ordurier et refusé de présenter sa carte d’identité nationale à des agents de la sécurité. Les organisations de défense des droits de l’homme et de la liberté de la presse ont condamné son arrestation et sa condamnation, motivées selon elles par des considérations politiques. Dans un communiqué de presse en date du 4 décembre, RSF affirme qu’ « en Tunisie, on emprisonne les journalistes sous des motifs souvent sans rapport avec leur profession pour se prémunir contre toute accusation de censure ». Le gouvernement continuerait à refuser de délivrer une carte de presse à Slim Boukhdir. En 2005, le quotidien de langue arabe Ash-Shourouq a cessé de publier les articles de celui-ci et a gelé son salaire en février 2006. En avril et en mai 2006, Slim Boukhdir a été l’un des deux journalistes de ce quotidien à faire une grève de la faim pour dénoncer le comportement de la direction à leur égard.
En janvier 2006, le président de la République a signé une loi abolissant la formalité du « dépôt légal », qui exigeait que tout document écrit soit approuvé par le gouvernement avant sa publication ou sa diffusion. L’annulation du dépôt légal met fin à la censure officielle et ouverte de la presse écrite nationale, mais pas à l’autocensure ni à l’ingérence manifeste du gouvernement, ainsi que le prouve la publication simultanée dans trois journaux de langue arabe d’éditoriaux similaires critiquant les militants de la société civile qui fréquentent les ambassades étrangères.
Le 7 novembre, le président Ben Ali a annoncé que l’examen préalable des publications étrangères et des livres relèverait désormais non plus du ministère de la Justice, mais du ministère de l’Intérieur. Avant cette date, tous les livres et toutes les publications étrangères faisaient l’objet de restrictions, qui pouvaient aller jusqu’au refus d’impression et de distribution. Le ministère de l’Intérieur a exigé des exposants qui participaient aux foires aux livres qu’ils lui remettent au préalable la liste complète des titres qu’ils comptaient présenter. Nombreux sont les livres dont la présentation n’a pas été acceptée lors de la foire aux livres qui s’est tenue du 27 avril au 5 mai.
Le gouvernement a régulièrement saisi et interdit la distribution de journaux tunisiens contenant des articles ou des photos contraires à ses politiques. Le 24 mars, par exemple, les autorités auraient acheté tous les exemplaires de l’hebdomadaire d’opposition al-Mawqif à cause de la publication d’une photo de parlementaires tunisiens et israéliens qui participaient à une réunion du Conseil parlementaire euro-méditerranéen à Tunis. De même, elles ont empêché la parution du numéro d’al-Mawqif du 22 juin parce qu’il contenait un article sur une manifestation syndicale tenue à Kasserine le 13 juin ainsi qu’une photo du responsable régional de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), Khaled Barhoumi, qui aurait été blessé par la police.
La loi stipule que la publication, l’introduction et la circulation d’ouvrages étrangers peuvent être soumises à des restrictions. Les autorités ont ainsi empêché le public de se procurer en temps voulu des publications étrangères qui contenaient des articles jugés hostiles au pays ou de nature à porter atteinte à la sécurité.
Selon un communiqué de RSF en date du 27 février, le gouvernement a interdit de diffusion l’édition du quotidien français Le Monde du 23 février ainsi que les éditions de l’hebdomadaire français Le Nouvel Observateur des 8 et 21 février parce qu’ils contenaient des articles très critiques envers le président Ben Ali. RSF a signalé que le gouvernement avait censuré au total trois éditions du Monde en février, l’une d’elles comportant un entretien du président de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’homme (LTDH), Mokhtar Trifi.
La réglementation en vigueur oblige les correspondants étrangers à obtenir une autorisation écrite pour faire des enregistrements vidéo en public. Le gouvernement contrôle la transmission par satellite des reportages réalisés par des correspondants tunisiens pour des chaînes de télévision étrangères en refusant d’octroyer des licences aux correspondants et en les obligeant à utiliser les connexions satellitaires du gouvernement.
La loi punit les auteurs de propos diffamatoires d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à cinq ans s’ils visent le président et jusqu’à trois ans s’ils concernent des corps constitués, tels la Chambre des députés, la Chambre des conseillers, les conseils constitutionnels, l’administration, les membres du gouvernement ou leurs adjoints.
Selon de nombreux journalistes ainsi que d’autres sources, de hauts responsables du gouvernement téléphonent régulièrement aux directeurs de services d’informations et aux rédacteurs en chef pour leur indiquer les sujets à ne pas aborder ni à publier ainsi que pour guider le contenu des éditoriaux et la couverture des nouvelles. L’Agence tunisienne de communication extérieure (ATCE) a fait respecter ce principe et d’autres mécanismes officieux de censure en achetant des espaces pour la publication d’annonces gouvernementales aux publications qui ont sa faveur. Quant aux entreprises privées, elles ne voulaient pas acheter d’espaces publicitaires dans les journaux boudés par le pouvoir de crainte de donner l’impression qu’elles soutenaient des médias faisant l’objet de sanctions du gouvernement.
Les directeurs et les propriétaires de médias privés, de même que les journalistes travaillant pour le gouvernement et le parti au pouvoir, pratiquent l’autocensure à un degré très poussé. Les journalistes de la presse de grande diffusion se sont régulièrement abstenus de mener des enquêtes sur certaines questions nationales. Seule la presse d’opinion à tirage limité a abordé régulièrement des sujets controversés d’intérêt national.
Le gouvernement a souvent fait pression sur les journaux pour qu’ils impriment la version officielle de tel ou tel événement, même lorsque ses propres journalistes étaient présents. Selon un communiqué de presse de RSF en date du 5 novembre, les reporters de médias privés ont pour consigne de ne traiter que les informations émanant de l’agence officielle Tunis Afrique Presse (TAP). Selon un rapport du Syndicat des journalistes tunisiens (SJT) de mai 2006, les autorités auraient interdit à des journalistes de rendre compte d’une grève des fonctionnaires des postes en janvier 2006 et des enseignants du secondaire en avril 2006. Certains journaux dont l’État est propriétaire ont accusé ce syndicat d’inciter à la discorde et de manquer de patriotisme.
Le CNLT a produit le journal/magazine électronique Kalima sans autorisation, mais il n’était accessible que de l’étranger. Le ministère de l’Intérieur a continué de bloquer l’enregistrement de cette publication. Selon des ONG internationales des droits de l’homme, ce refus du gouvernement serait dû aux commentaires défavorables au pouvoir que contient la publication.
Liberté d’accès à l’Internet
Selon le gouvernement, aucun site Internet n’est bloqué ni censuré, à l’exception des sites à contenu pornographique ou de nature à troubler l’ordre public, c’est-à-dire ceux qui contiennent « des appels à la haine, à la violence, au terrorisme et à toutes formes de discrimination et de sectarisme contraires à l’intégrité et à la dignité de la personne humaine » ou qui sont « préjudiciables à l’enfant et à l’adolescent ». Pour autant, le gouvernement a bloqué l’accès à un certain nombre de sites Internet. Il a ainsi rendu inaccessibles pratiquement tous les sites appartenant à des organismes tunisiens de défense des droits de l’homme, à l’opposition et aux mouvements islamistes. Quelques sites étrangers ont été bloqués par intermittence, notamment ceux d’Amnesty International, de RSF et de HRW (page consacrée à la Tunisie). Les sites d’actualités maintenus par l’opposition et des forums de discussion ont eux aussi été bloqués.
Selon le profil établi en 2006 par l’Initiative OpenNet (ONI), le nombre d’internautes en Tunisie s’élève à environ un million. Les tests effectués par l’ONI ont révélé que le gouvernement bloquait très largement les sites des groupes d’opposition politiques, des actualités présentées par l’opposition, des organisations de défense des droits de l’homme, ainsi que les sites pornographiques et certains sites qui seraient critiques à l’égard du Coran et de l’islam. Selon l’ONI, le gouvernement a bloqué systématiquement des sites en utilisant un logiciel commercial de filtrage installé sur ses serveurs qui lui permet de bloquer l’accès des 12 fournisseurs de services Internet (FSI) du pays.
Deux décrets datant de 1997 couvrent en partie les services liés à l’Internet et aux télécommunications. Tous les FSI sont tenus d’obtenir un agrément du ministère des Technologies de la Communication. Les demandes d’agrément sont étudiées par la Commission des services de télécommunication, laquelle inclut parmi ses membres des représentants des ministères de la Défense et de l’Intérieur ainsi que de hauts fonctionnaires travaillant dans le secteur des communications, de l’information et de l’informatique.
D’après un rapport établi en 2005 par HRW sur la censure en ligne, chaque FSI est tenu de désigner un directeur qui sera responsable du contenu des sites sur la toile qu’on lui demande d’héberger. Les internautes ainsi que les administrateurs de sites et de serveurs doivent eux aussi assumer la responsabilité des infractions à la loi. Chaque FSI doit soumettre mensuellement la liste de ses abonnés à l’Agence tunisienne d’Internet (ATI), organisme quasi-gouvernemental. En cas de cessation d’activité, le FSI doit immédiatement remettre un jeu complet de ses archives. Le directeur d’un FSI doit constamment surveiller le contenu des sites hébergés sur ses serveurs pour s’assurer que son système ne contient aucune information contraire « à l’ordre public et aux bonnes mœurs ».
Le 24 juillet, Mohamed Abbou a bénéficié d’une grâce présidentielle et il a été libéré de prison à l’occasion de la fête nationale du 25 juillet. En 2005, cet avocat avait été déclaré coupable d’avoir publié sur Internet des propos « de nature à perturber l’ordre public » ; il avait dénoncé la torture pratiquée dans les prisons du pays et comparé le sort des prisonniers tunisiens à celui des prisonniers irakiens à Abou Ghraib.
Liberté académique et événements culturels
Le gouvernement impose des restrictions à la liberté académique et encourage l’autocensure dans le milieu universitaire. Il a maintenu sous étroite surveillance les administrateurs, les enseignants et les étudiants en vue de déceler la moindre activité politique. La présence de policiers en uniforme et en civil sur les campus avait pour but de dissuader le corps estudiantin d’exprimer ouvertement des idées dissidentes.
En octobre 2006, Abdelhamid Sghaïer, étudiant en troisième cycle, a été condamné à verser une amende pour avoir pris la défense d’étudiantes de l’université de Tunis qui revendiquaient le port du hijab. Abdelhamid Sghaïer a fait une grève de la faim de vingt jours pour protester contre la décision du tribunal et exiger le renouvellement de son passeport, dont il faisait la demande depuis six mois. Le gouvernement aurait agi ainsi en raison de ses activités politiques.
Les autorités ont exigé que les auteurs de tout travail universitaire obtiennent une autorisation préalable pour le publier, et les bibliothèques universitaires se sont abstenues d’acheter des livres étrangers ou de s’abonner à des revues étrangères jugées hostiles au gouvernement. L’étroit contrôle gouvernemental des fonds de recherche universitaire a empêché les administrateurs d’octroyer ou de solliciter des subventions pour financer des travaux sur des sujets que le gouvernement jugerait inadmissibles. Les professeurs se sont gardés d’enseigner des cours sur des sujets considérés comme délicats, tels les cours de droit sur les systèmes politiques ou les cours sur les libertés civiles. Ils ont souvent évité de discuter les sujets suffisamment névralgiques pour attirer l’attention du gouvernement, et des membres du corps enseignant ont indiqué qu’ils hésitaient à se rencontrer en dehors des salles de cours. Les enseignants étaient tenus d’obtenir la permission du ministère de l’Enseignement supérieur pour organiser des conférences et ils devaient accompagner leur demande de la liste des sujets qui seraient abordés et de celle des personnes invitées.
b. Liberté de réunion et d’association pacifiques
La loi garantit la liberté de réunion et d’association, mais dans la pratique, le gouvernement a imposé de sévères restrictions à ce droit.
Liberté de réunion
La loi exige que les groupes désireux d’organiser une réunion publique, un rassemblement ou une manifestation obtiennent une autorisation auprès du ministère de l’Intérieur ; la demande doit être faite au plus tard trois jours avant la date de l’événement prévu et être accompagnée de la liste des participants. En règle générale, les groupes qui soutiennent les positions du gouvernement obtiennent facilement cette autorisation, contrairement aux groupes dissidents qui se la voient généralement refuser. Comme les années précédentes, les responsables d’ONG ont indiqué avoir eu des difficultés à louer des espaces pour y tenir de grandes réunions. Ils ont affirmé que la police faisait pression sur les gérants des locaux pour les dissuader de répondre favorablement à la demande des ONG. Les gérants d’hôtels et les propriétaires d’entreprises ont nié avoir reçu des consignes spécifiques concernant la location d’espaces à des groupes de l’opposition ; toutefois, ils ont reconnu qu’ils coopéraient avec le ministère de l’Intérieur et qu’ils essayaient de satisfaire ses demandes dans la mesure du possible.
Le 27 août, le PDP a tenu une conférence de presse pour dénoncer l’annulation à la dernière minute de la réservation qu’il avait faite dans un hôtel où il comptait tenir une université d’été à l’intention de la jeunesse. La direction de l’hôtel a invoqué des travaux en cours. Pour leur part, les militants affirment que le gouvernement a fait pression sur la direction afin qu’elle annule la réservation, coupant ainsi l’herbe sous le pied au PDP.
Le 20 septembre, la secrétaire générale du PDP, Maya Jribi, et son ancien secrétaire général, Nejib Chebbi, ont entamé une grève de la faim pour protester contre ce qu’ils considéraient comme des tentatives à mobile politique visant à les expulser du siège de leur parti à Tunis et à provoquer des expulsions quasi-simultanées dans un grand nombre de ses bureaux locaux. Leur grève de la faim a duré plus d’un mois avant que le PDP ne parvienne à un accord avec le propriétaire des locaux à la suite de l’intervention de la présidence.
Le gouvernement a régulièrement empêché la LDTH de tenir des réunions à son siège à Tunis comme dans ses bureaux régionaux. Le 9 novembre, la police aurait ainsi bloqué la tenue d’une réunion organisée par les membres du comité directeur de cette organisation. Le 10 juin, elle aurait empêché les membres de la section régionale de la LTDH de Kairouan de se rendre au siège régional de l’UGTT où ils comptaient commémorer le trentième anniversaire de la fondation de leur organisation.
Le gouvernement a eu recours à la police et à d’autres forces de sécurité pour surveiller, encadrer et parfois disperser les manifestations. En règle générale, ni la police ni les manifestants n’ont eu recours à la violence ; toutefois, quelques exceptions sont à signaler, comme les échauffourées entre les forces de l’ordre et les manifestants qui essayaient de passer à travers les barrages de police bloquant l’accès à des lieux de manifestations ou qui n’obéissaient pas à l’ordre de la police de se disperser.
En juillet 2006, le gouvernement a interdit la tenue de plusieurs manifestations. Des groupes d’opposition, des ONG des droits de l’homme, l’UGTT et des étudiants avaient demandé l’autorisation d’organiser de multiples manifestations visant à dénoncer les actions d’Israël au Liban. À Sfax, à Gabès et à Kairouan, la police aurait eu recours à la violence pour disperser des manifestations non autorisées qui avaient été organisées pour protester contre le conflit israélo-libanais du mois de juillet 2006. Une seule manifestation, autorisée et organisée par le gouvernement, a pu avoir lieu.
Liberté d’association
La loi garantit la liberté d’association, mais dans la pratique le gouvernement n’a généralement pas respecté ce droit. La loi exige que les nouvelles ONG soumettent au gouvernement une demande d’agrément. Si le gouvernement ne rejette pas la demande dans les 90 jours, l’ONG est automatiquement considérée comme étant agréée. Le gouvernement a régulièrement refusé d’agréer de nouvelles ONG en refusant de leur délivrer un récépissé accusant réception de leur dossier. Sans ce récépissé, les ONG ne peuvent pas démentir les affirmations du gouvernement selon lesquelles elles n’avaient pas déposé de demande d’agrément et ne pouvaient donc pas entrer en activité. Si elles passaient outre, elles pouvaient être fermées, leurs biens saisis et leurs membres poursuivis pour « appartenance à une organisation non reconnue ».
Au cours de l’année, un grand nombre de membres du RCD auraient essayé d’adhérer à des ONG indépendantes dans l’intention manifeste de limiter l’indépendance de ces organismes en se faisant élire aux organes de direction pour en assumer le contrôle ou en perturber le fonctionnement. Dans certains cas, les membres du RCD ont exploité les statuts des ONG ; dans d’autres, ils ont fait jouer une disposition de la loi sur les associations qui oblige les organisations à caractère général à accepter tous les postulants.
Le 17 février, un tribunal a une fois de plus statué que la LTDH ne pouvait pas tenir son congrès national du fait qu’une action en justice avait été intentée par sept de ses adhérents qui seraient solidaires du RCD.
En 2005, le gouvernement a procédé à l’éviction des dirigeants de l’Association des magistrats tunisiens (AMT), apparemment parce que la présidente à l’époque avait publié un communiqué dans lequel elle proposait de nouvelles initiatives pour la réforme du système judiciaire et faisait état d’irrégularités dans le procès de Mohammed Abbou. En septembre 2006, la nouvelle direction de l’AMT, loyale au RCD, a rédigé une règle interne réduisant le nombre des membres du comité directeur et excluant les membres des bureaux régionaux. Peu de temps auparavant, plusieurs autres membres du comité de direction avaient été transférés de Tunis vers des villes de province, ce qui a été notamment le cas de l’ancienne présidente de l’AMT, selon toute apparence pour mettre fin aux velléités d’indépendance de cette organisation.
c. Liberté de religion
La Constitution protège le libre exercice des cultes, sous réserve qu’il ne trouble pas l’ordre public ; toutefois, le gouvernement a assorti l’exercice de ce droit de certaines restrictions et il aurait commis des abus.
L’islam est la religion d’État, et la loi stipule que le président doit être musulman.
Le gouvernement reconnaît toutes les organisations religieuses chrétiennes et juives créées avant l’indépendance en 1956. Le gouvernement autorise toutes les églises chrétiennes à fonctionner librement, mais seule l’Église catholique est officiellement reconnue par le gouvernement. Ce dernier assimile le bahaïsme à une secte hérétique de l’islam et il n’autorise ses membres à pratiquer leur religion qu’en privé.
Bien qu’il n’y ait pas de loi contre le changement de religion, il y a eu quelques cas où les autorités ont traité de manière discriminatoire des musulmans qui s’étaient convertis à une autre religion, et ce par le recours à des moyens administratifs visant à décourager les conversions. Par exemple, les musulmans qui avaient changé de religion se sont heurtés à l’ostracisme social. Selon le droit coutumier fondé sur la charia, les musulmanes ne sont pas autorisées à se marier en dehors de leur religion. Le gouvernement a obligé des non-musulmans à se convertir à l’islam avant d’épouser une musulmane. Le gouvernement n’a pas autorisé certains couples mariés à faire inscrire leurs enfants sur les registres de l’état civil sous des noms non islamiques.
Le gouvernement interdit le prosélytisme qui cible les musulmans. Les autorités n’ont pas déporté d’étrangers soupçonnés de prosélytisme, mais elles n’ont pas renouvelé le visa de personnes soupçonnées d’être des missionnaires. Comme l’année dernière, il n’a été signalé aucun cas d’action officielle à l’encontre de personnes suspectées de prosélytisme.
L’éducation religieuse islamique est obligatoire dans les écoles publiques du pays. Le programme officiel d’éducation religieuse dans l’enseignement secondaire inclut également l’histoire du judaïsme et du christianisme.
Le gouvernement n’a pas autorisé la formation de partis politiques à caractère religieux et il a invoqué cette interdiction pour continuer à refuser de reconnaître le parti islamiste An-Nahdha et à poursuivre en justice les personnes soupçonnées d’y adhérer en les accusant « d’appartenance à une organisation non reconnue ». Le gouvernement a continué à surveiller étroitement les islamistes et les activités au sein des mosquées.
La loi stipule que seules les personnes nommées par le gouvernement sont autorisées à diriger des activités au sein des mosquées, et c’est le gouvernement qui paie le salaire des imams. Sur ordre du gouvernement, les mosquées doivent être fermées en dehors des heures de prière ou de la tenue de cérémonies religieuses, mariages ou enterrements par exemple. Selon des avocats défenseurs des droits de l’homme, les autorités interrogent les personnes qui prient fréquemment dans les mosquées. Les autorités donnent des instructions aux imams pour qu’ils abordent et soutiennent dans leurs prêches les programmes sociaux et économiques du gouvernement.
Le gouvernement a essayé de réprimer les signes extérieurs de religiosité. Par exemple, les autorités ont déclaré que le hijab était « un habit d’origine étrangère ayant des connotations sectaires » et elles ont cherché à en restreindre le port dans les établissements publics. En septembre 2006, selon des informations de presse, la police a intensifié ses efforts relatifs à l’application des « décrets » circulaires n° 108 et n° 102, respectivement de septembre 1981 et d’octobre 1986, interdisant toutes les tenues sectaires (tel le hijab) dans les bâtiments publics, les établissements scolaires et les universités. Au cours de l’année, des femmes ont été interpellées dans des lieux publics, détenues et sommées d’enlever leur hijab. En octobre 2006, lors d’une réunion de l’Union nationale de la femme tunisienne (UNFT), ONG loyale au gouvernement, des dirigeantes de l’organisation ont exigé que toutes les femmes présentes enlèvent leur voile, n’hésitant pas à l’occasion à tirailler les foulards des récalcitrantes et à les insulter. Dans plusieurs établissements scolaires, des administrateurs ont infligé des sanctions disciplinaires pour punir les élèves qui portent le voile et ils ont essayé, pour les dissuader de récidiver, de leur faire signer un engagement écrit de renoncer au port du hijab. En décembre 2006, un tribunal de première instance a déclaré la circulaire n° 102 d’octobre 1986 contraire à la Constitution, mais sa décision n’est pas juridiquement contraignante pour le ministère.
Il a été allégué que la police interpellait et harcelait parfois des hommes portant une barbe considérée comme « islamique » et les forçait à se raser. Ces allégations se sont multipliées dans la foulée des opérations sécuritaires menées en décembre 2006 et janvier 2007 contre des terroristes islamistes présumés. Selon des ONG internationales et des organisations nationales de défense des droits de l’homme, ces opérations se sont soldées par l’arrestation de plus d’un millier de jeunes gens accusés de terrorisme. Les groupes de défense des droits de l’homme affirment que dans certains cas, les individus arrêtés avaient été ciblés en raison de leur apparence islamique, de leur fréquentation régulière des mosquées ou d’autres actions liées à la pratique de l’Islam.
Les publications religieuses sont soumises aux mêmes restrictions de liberté d’expression et de presse que les publications laïques. Les groupes chrétiens ont pu diffuser des publications à caractère religieux, mais uniquement lorsqu’elles étaient rédigées en anglais et qu’elles n’étaient pas distribuées en public. Seuls les groupes islamiques autorisés peuvent diffuser de la documentation religieuse. Le gouvernement assimile la diffusion de ce type de documents par d’autres groupes à une action de nature à « troubler l’ordre public ». C’est le gouvernement qui détermine quels citoyens peuvent faire le hadj, le gouvernement de l’Arabie saoudite imposant des quotas nationaux qui fixent le nombre de ressortissants que chaque pays peut envoyer en pèlerinage.
Abus et discrimination au sein de la société
Les chrétiens et les juifs vivant dans le pays, étrangers y compris, représentent moins de 1 % de la population. Selon les autorités ecclésiastiques, la communauté de chrétiens pratiquants comptait environ deux mille personnes parmi lesquelles quelques centaines de citoyens de naissance qui s’étaient convertis au christianisme. La population juive se chiffrait à environ 1 100 personnes, dont 900 vivaient à Djerba et les autres à Tunis.
Le gouvernement assure la liberté de culte des juifs et des chrétiens qui ne font pas de prosélytisme et il autorise la communauté juive à avoir ses propres écoles religieuses. Quelques chrétiens ont indiqué avoir été victimes de harcèlement administratif sous forme de surveillance et d’interrogatoires. Il a été signalé des cas d’interpellation de chrétiens par la police et les forces de sécurité, qui ont interrogés ces personnes sur leur conversion au christianisme. En 2006, selon certaines allégations, le renouvellement de passeports a pris des retards inhabituels pour certains chrétiens, bien que ces documents aient fini par être délivrés.
Les chefs de la communauté juive ont indiqué que le gouvernement assurait la protection des synagogues, en particulier pendant la période des fêtes juives. Le gouvernement permet aux juifs de pratiquer librement leur culte et il paie le salaire du Grand rabbin. Il participe par des subventions au financement des frais de restauration et d’entretien de synagogues. Le Comité directeur provisoire de la communauté juive se réunit toutes les semaines et il entreprend des activités religieuses et caritatives, bien qu’il ne soit pas encore enregistré de manière permanente. Les enfants juifs de l’île de Djerba ont le droit de partager leurs journées entre l’école publique laïque et une école religieuse privée.
Des caricatures présentant les juifs sous les stéréotypes traditionnels ont été publiées dans certains journaux de grande circulation pour dépeindre l’État d’Israël et les intérêts israéliens. Elles étaient l’œuvre de caricaturistes étrangers et elles ont été reproduites dans le pays.
En mars 2006, selon la presse et des témoins, une centaine d’étudiants de l’université de la Manouba près de Tunis auraient lancé des slogans anti-israéliens et anti-juifs au cours d’une cérémonie organisée en mars pour célébrer le legs de livres de la bibliothèque personnelle de feu Paul Sebag, historien juif tunisien. Après l’incident, le syndicat des étudiants de la Manouba, des journalistes de la presse à grande circulation et la LTDH ont vigoureusement dénoncé le caractère antisémite de la manifestation.
Le gouvernement a encouragé l’enseignement du respect et de la tolérance par le biais d’une série de conférences sur la tolérance religieuse.
Pour des renseignements complémentaires sur ces questions, voir le Rapport 2007 sur la liberté religieuse dans le monde.
d. Liberté de déplacement, personnes déplacées, protection des réfugiés et apatrides
La loi garantit la liberté de déplacement à l’intérieur du pays, les voyages à l’étranger, l’émigration et le rapatriement, et le gouvernement a généralement respecté ces droits dans la pratique ; toutefois, il a refusé de délivrer, de renouveler, de modifier ou d’accepter le passeport de certains dissidents, d’islamistes et de leurs proches. En outre, le gouvernement peut astreindre certains anciens prisonniers à une période de « contrôles administratifs » pouvant aller jusqu’à cinq ans, ce qui revient à imposer un exil interne.
La loi autorise les tribunaux à décider du retrait de passeports ; elle contient de larges dispositions qui permettent de confisquer les passeports pour des raisons de sécurité nationale, sans que les citoyens aient le droit de présenter des arguments contre la confiscation de leur passeport ou de faire appel de la décision du juge. De par la loi, le ministère de l’Intérieur est tenu de présenter ses requêtes de retrait ou de non-délivrance de passeport au tribunal par l’intermédiaire du procureur de la République ; pour autant, le ministère de l’Intérieur déroge souvent à cette procédure, et ce en toute impunité.
En vertu de la Constitution, aucun citoyen ne peut être contraint à l’exil ni se voir interdire le droit de retourner au pays.
Beaucoup de citoyens tunisiens, en particulier des journalistes, ont dit avoir eu des difficultés à faire une demande de passeport ou à faire renouveler leur passeport et ils ont accusé le gouvernement de bloquer leurs demandes uniquement pour des raisons politiques. Des Tunisiens convertis au christianisme ont fait état de retards inexpliqués en ce qui concerne les demandes de passeport ou de renouvellement. Sedki Labidi, ancien dirigeant d’An-Nahdha, est privé de passeport depuis onze ans, et ce en l’absence d’une décision judiciaire.
Les mesures de contrôle administratif, qui s’appliquent dès qu’un prisonnier est remis en liberté, sont apparentées aux mesures de libération conditionnelle, à cette exception près qu’elles peuvent rester en vigueur même une fois que le prisonnier a purgé sa peine. Le gouvernement oblige les personnes visées par ces mesures à rester « dans leur région de résidence », laquelle est choisie par le gouvernement et peut être n’importe où dans le pays. En outre, ces personnes peuvent être tenues de se présenter régulièrement au commissariat, souvent tous les jours et à une heure fixée la veille seulement. Là, elles peuvent attendre des heures avant de pouvoir signer le registre de présence, ce qui fait qu’il leur est impossible d’avoir un emploi normal. De nombreux islamistes libérés de prison ces dernières années sont soumis à ce type de punition.
Selon des ONG internationales et nationales, plusieurs prisonniers libérés le 24 juillet en prévision de la commémoration de la fête nationale du 25 juillet ont été victimes de harcèlement administratif et leurs déplacements ont été restreints. Le 24 août, selon RSF, le gouvernement aurait refusé à Mohammed Abbou, l’un des 21 prisonniers libérés, la permission de quitter le pays. Le 11 novembre, il s’est également vu refuser le droit de se rendre à l’étranger pour assister à une conférence sur les droits de l’homme.
En vertu de la loi, le contrôle administratif ne peut être imposé qu’au moment du prononcé de la peine ; or un ancien professeur de lycée, Nouri Chniti, a dit être soumis à un contrôle administratif depuis 1991, alors que cette mesure n’avait pas été imposée au moment de sa condamnation, l’enseignant ayant été condamné cette année-là à une peine avec sursis pour appartenance au mouvement An-Nahdha. Certains opposants politiques qui étaient partis en exil volontaire à l’étranger n’ont pas pu se procurer de passeport ni le faire renouveler pour rentrer au pays. En 2005, des Tunisiens résidant à l’étranger et qui s’étaient vu refuser un passeport ont créé l’organisation « Tunisiens sans passeport », laquelle, dans ses communiqués, exhorte le gouvernement à délivrer un passeport à tous les citoyens.
Protection des réfugiés
La loi contient des dispositions relatives au droit d’asile ou au statut de réfugié qui sont conformes à la Convention de l’ONU relative au statut des réfugiés (1951) et à son protocole (1967). En règle générale, le gouvernement a coopéré avec le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés et d’autres organisations humanitaires dans le cadre de l’aide accordée aux réfugiés et aux demandeurs d’asile, venus principalement d’Afrique subsaharienne. Pour autant, il n’a pas établi de système visant à assurer la protection des réfugiés ni des étrangers qui ne répondent pas aux critères établis par la Convention de 1951 et son Protocole de 1967, mais qui auraient besoin d’une forme quelconque de protection internationale. Dans la pratique, le gouvernement n’a pas fourni de protection contre le refoulement, c’est-à-dire le renvoi de personnes dans un pays où l’on a des raisons de penser qu’elles risquent d’être persécutées.
Section 3 Respect des droits politiques : le droit des citoyens de changer leur gouvernement
Le droit des citoyens de changer leur gouvernement est sujet à des limitations considérables. Le président et les membres de la Chambre des députés sont élus au suffrage direct par les citoyens pour un mandat de cinq ans, mais de fréquentes irrégularités ont entaché la légitimité des élections. Le parti au pouvoir est en place depuis l’indépendance du pays, en 1956. Il domine le cabinet et la législature ainsi que les instances gouvernementales régionales et locales.
Élections et participation politique
Lors des élections nationales de 2004, le président Ben Ali s’est affronté à trois autres candidats en lice et il a été réélu pour un quatrième mandat avec 94,9 % des suffrages exprimés, selon les chiffres officiels. Le troisième candidat de l’opposition, Mohamed Halouani du parti Et-Tajdid, a invoqué les restrictions imposées par le gouvernement et d’autres irrégularités pour expliquer pourquoi il avait obtenu moins de 1 % des voix. D’après les résultats officiels des élections, le taux de participation des électeurs inscrits a dépassé 90 % ; en revanche, des ONG indépendantes le situent aux alentours de 30 %.
Le déroulement du scrutin a été entaché d’irrégularités. Une coalition de trois ONG locales indépendantes – la LTDH, le CNLT et l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) — a relevé un certain nombre de problèmes graves, tels que le manque d’accès des candidats de l’opposition aux médias pendant la campagne et le parti-pris des médias en faveur du parti au pouvoir. En outre, les candidats de l’opposition et d’autres observateurs ont fait état d’intimidation des électeurs ainsi que de restrictions imposées à la distribution de prospectus électoraux et à l’organisation de manifestations électorales.
Le Code électoral de 2004 limite considérablement le nombre de personnes présentant les conditions requises pour se porter candidates à la présidence. Pour faire acte de candidature, il faut être musulman et parrainé par trente députés ou présidents de conseils municipaux. La loi stipule que 20 % des sièges de la Chambre des députés doivent revenir aux partis de l’opposition. La dominance exercée par le parti au pouvoir sur les institutions publiques et les activités politiques est telle que toute tentative visant à défier le parti au pouvoir par le biais des urnes manque de crédibilité et ne risque pas d’aboutir.
En 2005, l’Observatoire national des élections, mis en place en 2004 pour observer toutes les étapes des élections de 2004, a remis son rapport dans lequel il conclut que l’opération électorale s’est déroulée de manière équitable et conforme à la loi. Dans son rapport, l’Observatoire évoque les critiques exprimées par l’opposition et les ONG, notamment le fait que des membres des partis d’opposition n’aient pas reçu leur carte d’électeur, l’avantage du parti au pouvoir en matière d’accès aux médias, le manque de transparence dans les bureaux de vote et le secret du dépouillement. Bien qu’ils rejettent ces allégations, les auteurs du rapport émettent douze propositions concrètes visant à remédier à certains problèmes. De l’avis de militants indépendants en faveur des droits de l’homme, le but réel de l’Observatoire était de contrer les critiques concernant l’absence d’observateurs indépendants ou internationaux.
En 2005, le gouvernement a organisé des élections pour choisir les 126 membres de la Chambre des conseillers, la deuxième chambre législative du pays créée en 2002 en vertu d’un amendement à la Constitution. L’électorat se composait de 4 555 officiels, regroupant les conseillers municipaux, leurs adjoints, les maires et les 189 membres de la Chambre des députés. Sur ces 4 555 votants, seuls 305 étaient membres d’un parti d’opposition. L’amendement constitutionnel portant création de la nouvelle chambre stipule que les sièges dont elle dispose doivent être répartis entre diverses organisations régionales et professionnelles, 14 sièges devant notamment être attribués à l’UGTT ; or cette dernière a refusé de nommer des candidats, invoquant le manque d’indépendance et de démocratie qui caractérise le processus de sélection des candidats. Quarante et un membres sont nommés directement par le Président. La plupart des membres de la nouvelle chambre sont des adhérents ou des sympathisants du parti au pouvoir, le RCD.
Le Président nomme le premier ministre, les membres du cabinet et les vingt-quatre gouverneurs du pays. On note une forte intégration entre le gouvernement et le parti ; tous ceux qui occupent ou ont occupé un poste de haut niveau au gouvernement occupent les échelons supérieurs de la hiérarchie du RCD. Le Président de la République est aussi le président du parti, et le vice-président et le secrétaire général du parti ont rang de ministre. Tous les membres du bureau politique du RCD ont rang de ministre, compte tenu de leurs états de service, passés ou actuels, dans la fonction publique.
L’adhésion au RCD confère des avantages tangibles. Par exemple, on entend très souvent dire que les membres du parti et leur famille sont les mieux lotis en matière d’éducation et de logement, d’attribution de permis concernant les entreprises et de dérogations à la réglementation en matière de zonage.
Pour compenser les avantages dont jouit le parti au pouvoir, le Code électoral stipule que 20 % des sièges de la Chambre des députés (soit 37 sur 189) doivent être occupés par les sept partis d’opposition officiellement reconnus, ces sièges devant être attribués proportionnellement aux partis qui ont obtenu au moins un siège au scrutin direct. Lors des élections de 2004, cinq des partis d’opposition ont obtenu des sièges en vertu de cette disposition. Les 152 sièges restants sont revenus au RCD.
En mars 2006, les autorités ont autorisé l’établissement du Parti vert pour le progrès (PVP), premier parti politique à être créé depuis 2002. Le gouvernement a refusé de reconnaître le parti écologique « Tunisie verte », bien que ce dernier ait soumis depuis longtemps une demande de reconnaissance officielle.
Le gouvernement finance partiellement les partis politiques reconnus. Il a relevé le montant de la contribution publique aux coûts de fonctionnement des partis politiques d’opposition, qui a été porté à 75 000 dinars (61 500 dollars) par an. En outre, les partis d’opposition représentés à la Chambre touchent une somme supplémentaire de 7 500 dinars (6 150 dollars) par siège. Ceux qui publient aussi un journal bénéficient d’aides supplémentaires. Le 22 novembre, le président Ben Ali a signé une loi fixant à 240 000 dinars (196 930 dollars) la subvention annuelle octroyée par le gouvernement aux partis politiques qui publient un quotidien ou un hebdomadaire. Ceux qui publient un mensuel ont droit à 60 000 dinars (50 000 dollars). Le journal du parti d’opposition du PDP, al-Mawqif, n’a rien touché puisque ce parti n’était pas représenté à la Chambre.
En application de la loi, le gouvernement interdit l’établissement de partis politiques sur la base de la religion, de la langue, de la race ou du sexe.
On note la présence de 50 femmes parmi les 301 membres de la législature, de 2 femmes parmi les 25 ministres et de 5 femmes parmi les 18 secrétaires d’État (membres « juniors » du cabinet). À la suite des municipales de 2005, plus du quart des conseillers municipaux élus sont des femmes. Trois femmes ont été présidentes d’une chambre de la Cour de cassation, et deux ont siégé au Conseil supérieur de la magistrature, qui se compose de 15 membres.
Corruption et transparence dans les activités gouvernementales
Selon les indicateurs mondiaux de la gouvernance publiés par la Banque mondiale, la corruption des agents publics pose problème. Treize articles du code pénal traitent de ce sujet, et les autorités poursuivent régulièrement des contrevenants en justice.
Le 31 mai, un tribunal de Tunis a condamné à quatre ans de prison deux fonctionnaires impliqués dans une affaire de corruption. L’un d’eux, qui travaillait à l’aéroport de Tunis, a touché 1 500 dinars (1 235 dollars) pour avoir aidé l’autre à se rendre de Tunis à Marseille avec un faux passeport.
Le 21 novembre, la police a arrêté un fonctionnaire du Centre national pédagogique pour corruption et détournement de devises étrangères. À la fin de l’année, le tribunal de Tunis n’avait pas encore rendu son verdict.
En juillet 2006, un journal a rapporté que la Garde nationale avait arrêté un contrôleur régional des impôts soupçonné d’avoir reçu des pots-de-vin de certains commerçants et l’avait remis à la justice pour poursuites judiciaires. Ce fonctionnaire, dont l’identité n’a pas été révélée, n’a pas été condamné, mais il est en détention.
La Haute Institution des forces de sécurité et de douane a pour mission non seulement de veiller au respect des droits de l’homme et d’améliorer l’application de la loi, mais aussi de réduire la corruption. Il n’y a eu aucun rapport public sur ses activités au cours de l’année. Il n’existe aucune loi qui permette aux citoyens d’avoir accès à des documents du gouvernement. Les fonctionnaires ne sont pas soumis à l’obligation de divulguer les informations financières les concernant.
Section 4 Attitude du gouvernement concernant les enquêtes internationales et non gouvernementales sur les allégations de violations des droits de l’homme
Le ministère de la Justice et des Droits de l’homme est le principal organisme gouvernemental chargé des questions relatives aux droits de la personne, mais d’autres ministères se sont eux aussi dotés de bureaux en la matière. Le ministère n’a publié aucun rapport concernant les plaintes qu’il aurait reçues ou les cas sur lesquels il aurait enquêté. Le Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales, organisme créé et financé par le gouvernement, a reçu, pris en charge et parfois résolu des plaintes de violations des droits de l’homme, qu’il s’agisse des conditions d’emprisonnement, des demandes d’amnistie déposées par les familles de prisonniers ou d’autres questions connexes. Le Comité soumet ses rapports, qui sont confidentiels, au président lui-même. Le gouvernement gère plusieurs sites web d’information qui contiennent une section sur les droits de l’homme, mais ces sites ne sont pas identifiés comme étant des sites officiels du gouvernement. Par ailleurs, le gouvernement a continué à bloquer l’accès aux sites d’organisations nationales des droits de l’homme et, dans certains cas, à ceux d’organisations internationales.
Le gouvernement s’est attaché à dissuader les organisations nationales et internationales des droits de l’homme d’enquêter sur les allégations de violations ; en règle générale, ces organisations ont pu mener leurs enquêtes et publier leurs conclusions, mais non sans mal. Le gouvernement a cherché à surveiller et à limiter les activités de certaines ONG étrangères à l’œuvre dans le pays. On a dénombré une dizaine d’ONG nationales de défense des droits de l’homme, la moitié d’entre elles seulement étant officiellement reconnues. Certaines ONG progouvernementales ont reçu des fonds publics. Le gouvernement a eu des contacts avec des ONG locales officiellement reconnues et, de temps à autre, a donné une suite favorable à leurs requêtes ; en revanche, il s’en est pris à certaines personnes, qu’il a harcelées et poursuivies en justice.
Le 7 décembre, selon HRW, la police a appréhendé Samir Ben Amor, cofondateur de l’AISPP et membre de son comité directeur. Selon HRW, elle lui aurait dit, avant de le relâcher, qu’il devait cesser ses activités en rapport avec l’AISPP. Le gouvernement refuse d’enregistrer cette association depuis qu’elle a été créée, en 2002.
Le gouvernement a invoqué une décision judiciaire selon laquelle la LTDH n’était pas autorisée à tenir son Congrès national pour empêcher cette dernière, tout au long de l’année, d’organiser des réunions et d’autres activités. La LDTH, qui dispose de 41 sections réparties sur l’ensemble du territoire, a toujours été l’une des organisations militantes indépendantes parmi les plus actives du pays, même si le blocage imposé par le gouvernement a réduit son efficacité opérationnelle. La Ligue a reçu des plaintes d’atteintes aux droits, a mené des enquêtes et a dénoncé les violations constatées, mais le gouvernement a rarement réagi à ses communiqués. Le gouvernement a continué à bloquer un don octroyé à la LDTH par l’Union Européenne, se retranchant derrière une loi sur les ONG qui empêche celles-ci de recevoir des fonds sans l’autorisation du gouvernement. En octobre 2006, le gouvernement a informé officiellement toutes les missions diplomatiques présentes à Tunis que la LTDH était sous le coup d’une décision judiciaire de 2001 « lui interdisant toute activité ». Pour autant, cela n’a pas empêché la LTDH de mener des activités un peu partout dans le pays depuis 2001.
Depuis 1998, le gouvernement refuse d’autoriser l’enregistrement du CNLT en tant qu’ONG. Ce dernier a publié des communiqués dans lesquels il critique vivement les pratiques du gouvernement en matière de droits de l’homme. De son côté, le gouvernement a accusé les membres du Conseil de contrevenir à la réglementation sur les publications pour avoir publié des communiqués sans l’autorisation préalable des autorités.
Le 18 mai, l’Association mondiale des journaux a rapporté qu’entre une trentaine et une soixantaine de policiers en civil avaient bloqué l’entrée des bureaux du journal électronique Kalima. Cette barricade avait été mise en place après que des représentants de la publication s’étaient entretenus avec des membres de deux ONG internationales, à savoir Frontline International et Human Rights First ; l’accès a été bloqué pendant plus de six semaines.
Le 15 juin, la police aurait soumis à un interrogatoire le président de la section tunisienne d’Amnesty International au sujet de la constitution d’une coalition contre la peine de mort, annoncée la veille. La police aurait qualifié d’ « illégale » cette démarche d’Amnesty International.
En avril 2006, le Groupe d’observation de la Tunisie organisé par l’IFEX (IFEX-TMG), coalition d’ONG internationales qui œuvrent en faveur des droits de l’homme et de la liberté d’expression, a mené des enquêtes sur le terrain. L’IFEX-TMG a dit avoir fait l’objet d’une surveillance policière étroite et a déploré l’ingérence du gouvernement dans sa mission. La police a empêché les traducteurs et les simples citoyens qui se déplaçaient avec le groupe de participer à certaines réunions.
En mai 2006, Yves Steiner, membre du comité exécutif de la section suisse d’Amnesty International, en visite dans le pays, a été arrêté et expulsé. Selon AI, il aurait prononcé un discours ce mois-là devant les membres d’une section locale d’AI dans lequel il condamnait les violations des droits de l’homme de plus en plus nombreuses dans le pays, notamment les atteintes à la liberté d’expression et d’association. Selon des médias internationaux citant une source proche du gouvernement, Yves Steiner aurait constitué une menace à l’ordre public.
Selon des informations dignes de foi, la police aurait empêché certains parents de prisonniers de se rendre dans les bureaux du CICR et aurait surveillé et parfois harcelé les familles qui consultaient cette organisation.
Section 5 Discrimination, abus au sein de la société et trafic d’êtres humains
La loi stipule que tous les citoyens sont égaux devant la loi, et le gouvernement a généralement respecté ce principe, encore que les dispositions sexospécifiques du code civil pénalisent les femmes en matière d’héritage et de droit de la famille.
Les femmes
Le code pénal prohibe expressément le viol, y compris entre époux, et le gouvernement a vigoureusement appliqué les lois en la matière, les cas de viol recevant une large couverture médiatique ; toutefois, il n’a été signalé aucun cas de poursuites judiciaires pour viol conjugal. Le viol accompagné de violence ou commis sous la menace d’une arme est puni par la peine capitale ; toute autre forme de viol est punie par la réclusion à perpétuité.
Les lois qui répriment les violences intrafamiliales punissent les agressions commises par un conjoint ou un autre membre de la famille par des amendes et des peines de prison qui sont le double de celles infligées aux agresseurs non apparentés à leurs victimes ; cependant, l’application de la loi n’est pas systématique car la police et les tribunaux considèrent généralement que la violence au foyer est une affaire de famille.
La violence contre les femmes, y compris aux mains d’un conjoint, est une réalité, mais l’absence de statistiques empêche de mesurer l’ampleur de ce phénomène. L’UNFT, organisme sous le parrainage du gouvernement qui gère un centre d’accueil à l’intention des femmes et des enfants en détresse, a organisé des campagnes nationales de sensibilisation.
La prostitution est prohibée par le Code pénal, mais les infractions se soldent rarement par des condamnations judiciaires. On a noté la présence de maisons closes sanctionnées par les autorités, et ce bien que la prostitution soit punie de peines de prison pouvant atteindre deux ans. La loi s’applique aux femmes aussi bien qu’aux hommes et à leurs complices. Il n’a été signalé aucun cas de traite ou de prostitution forcée impliquant des femmes.
Le harcèlement sexuel a posé problème, encore que l’étendue du phénomène soit impossible à mesurer du fait de l’absence de données détaillées. Des groupes de la société civile ont critiqué la loi qui criminalise le harcèlement sexuel, la jugeant trop vague et ouverte aux abus.
Les femmes jouissent des mêmes droits que les hommes, et le gouvernement s’est employé à promouvoir ces droits, particulièrement ceux qui ont trait au divorce et à la propriété. La loi stipule explicitement qu’à tout travail égal doit correspondre un salaire égal. Il n’y a pas de statistiques sur les salaires moyens des deux sexes, mais des données anecdotiques indiquent que les femmes et les hommes touchent le même salaire quand ils effectuent le même travail. Le nombre de femmes inscrites dans des établissements d’enseignement supérieur dépasse légèrement celui des hommes.
En janvier, une nouvelle loi a donné à certaines catégories de fonctionnaires de sexe féminin la possibilité de travailler à temps partiel et de toucher les deux tiers de leur salaire. Selon le gouvernement, cette loi visait à répondre au désir exprimé par les femmes de concilier vie familiale et vie professionnelle. Pour les militantes féministes, dont l’ATFD, le fait d’établir une distinction juridique entre les femmes et les hommes fait faire un grand bond en arrière aux droits de la femme sur le lieu de travail.
Les femmes occupent des postes de haut rang dans le gouvernement, parmi les ministres et les secrétaires d’État, et le président Ben Ali a nommé la première femme gouverneur en 2004. Les femmes représentaient 37 % des effectifs de la fonction publique et 24 % des juristes. Pour autant, elles ont continué à se heurter à la discrimination sociale et économique.
Le droit civil se fonde sur le Code napoléonien, encore que les juges appliquent souvent la charia dans les affaires de famille et d’héritage. La plupart des biens acquis après le mariage, y compris ceux qui sont acquis exclusivement par la femme, sont enregistrés sous le nom du mari. À la signature du contrat de mariage, les futurs époux ont le choix entre le régime matrimonial de la communauté ou celui de la séparation des biens et des acquêts. Le droit coutumier basé sur la charia interdit aux musulmanes d’épouser un non-musulman. L’application de la charia en matière d’héritage demeure une source de discrimination contre les femmes, et l’on constate l’existence d’un système de deux poids, deux mesures, en fonction du sexe et de la religion : en effet, une femme qui n’est pas musulmane et son époux musulman ne peuvent pas hériter l’un de l’autre. Les enfants nés de tels couples sont considérés comme musulmans et ils ne peuvent pas hériter de leur mère. La nationalité se transmet par la mère, quelle que soit la nationalité du père.
Le ministère des Affaires de la femme, de la famille, de l’enfance et des personnes âgées a parrainé plusieurs campagnes médiatiques visant à sensibiliser l’opinion aux droits de la femme. Le gouvernement soutient et finance l’Union nationale de la femme tunisienne (UNFT), le Centre de recherches, d’études, de documentation et d’information sur la femme (CREDIF) et les associations professionnelles de femmes. Plusieurs ONG se sont concentrées sur la défense des droits de la femme et sur la recherche relative à la condition féminine, et un certain nombre de procès en matière d’affaires familiales ont été intentés par des femmes.
Les enfants
Le gouvernement a fait preuve d’un ferme attachement à l’enseignement public gratuit et universel, lequel est obligatoire de 6 à 16 ans. Selon l’UNICEF, 95 % des garçons et 93 % des filles étaient scolarisés dans l’enseignement primaire, et environ 73 % et 76 % respectivement dans le secondaire. Les statistiques officielles, en revanche, situent le taux de scolarisation aux alentours de 99 %. Durant l’année, le taux de réussite au baccalauréat était plus élevé pour les filles que pour les garçons. Il existe également des établissements d’enseignement pour certains groupes religieux.
En ce qui concerne l’accès aux soins médicaux, il n’y a pas de différence entre les garçons et les filles. Le gouvernement a parrainé un programme de vaccinations ciblant les enfants d’âge préscolaire et il a fait état d’un taux de vaccination supérieur à 95 %.
La loi réprime sévèrement l’abandon de mineurs et les voies de fait à leur encontre. Aucune tendance de maltraitance des enfants n’a été observée dans la société.
Le problème du travail des enfants et de la prostitution enfantine ne s’est pas posé de manière importante. Le MAFFEPA et le ministère de la Jeunesse, de l’Enfance et des Sports se partagent la responsabilité de la protection des droits des enfants. Ils sont l’un et l’autre secondés dans cette tâche par un secrétariat d’état qui leur est attaché.
Trafic de personnes
La loi n’interdit pas toutes les formes de trafic de personnes, mais le code pénal réprime la prostitution forcée. Il n’a été signalé aucun trafic de personnes en direction de la Tunisie, à partir de ce pays ni à l’intérieur du territoire.
En 2004, la législature a adopté des amendements à la loi de 1975 relative aux passeports et aux documents de voyage. Les nouvelles dispositions punissent « quiconque aura renseigné, conçu, facilité, aidé ou se sera entremis ou aura organisé par un quelconque moyen, même à titre bénévole, l'entrée ou la sortie clandestine d'une personne du territoire tunisien, par voie terrestre, maritime ou aérienne ». Les infractions sont assorties de peines d’emprisonnement allant de 3 ans à 20 ans ainsi que d’amendes comprises entre 80 000 dinars et 100 000 dinars (65 650 dollars et 82 000 dollars). Ces amendements sont venus compléter la ratification par la Tunisie du Protocole des Nations Unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes. Les trafiquants peuvent être poursuivis pour infractions aux lois qui interdisent le travail forcé, la prostitution forcée, la participation forcée à un conflit armé et le déplacement forcé de personnes. De même, toute autre forme de servitude est illégale.
C’est au ministère de l’Intérieur et du Développement local ainsi qu’au ministère des Affaires Sociales, de la Solidarité et des Tunisiens à l’étranger qu’il incombe de réprimer la traite des personnes. Le gouvernement n’a pas organisé de campagnes visant spécifiquement à prévenir ce trafic, mais il a œuvré en étroite collaboration avec ses voisins européens pour contrer les activités de contrebande, dans lesquelles peut s’insérer le trafic de personnes. Toutefois, le gouvernement n’a pas de mécanisme en place qui lui permette d’établir une distinction entre les victimes de la traite et les candidats volontaires à la migration illégale.
Les handicapés
La loi interdit la discrimination contre les personnes atteintes de handicaps physiques ou intellectuels et elle stipule qu’un pour cent au moins des emplois des secteurs public et privé doivent leur être réservés ; pour autant, selon les responsables d’ONG dédiées à l’assistance aux handicapés, cette loi ne serait pas suffisamment respectée et beaucoup d’employeurs en ignoreraient même l’existence. Il n’y a pas eu de cas majeurs de discrimination à l’encontre des handicapés en matière d’emploi, d’éducation, d’accès aux soins de santé ou autres services publics. Tous les bâtiments publics construits depuis 1991 doivent être accessibles aux insuffisants moteurs, et cette consigne est respectée. Le gouvernement délivre des cartes d’invalidité qui confèrent certains avantages à leur titulaire, dont le droit de stationnement illimité, la priorité en matière de soins médicaux, des places réservées dans les transports publics et l’obtention de remises dans les magasins. Le gouvernement accorde des avantages fiscaux aux entreprises qui embauchent des handicapés moteurs, de même qu’il appuie généreusement les ONG qui œuvrent en faveur des handicapés.
Plusieurs ONG répondent aux besoins des enfants et des jeunes adultes atteints de déficits intellectuels en matière d’éducation, de formation et de loisirs. Le gouvernement et diverses organisations internationales ont financé plusieurs de leurs programmes. C’est au ministère des Affaires sociales, de la Solidarité et des Tunisiens à l’étranger qu’il appartient de protéger les droits des handicapés.
Section 6 Droits des travailleurs
a. Droit d’association
La loi reconnaît aux travailleurs le droit de s’organiser et de former des syndicats, et le gouvernement a généralement respecté ce droit dans la pratique. L’UGTT est la seule centrale syndicale du pays. Le Syndicat des journalistes tunisiens est une organisation indépendante et non reconnue. Environ 30 % des travailleurs – fonctionnaires et employés d’entreprises publiques y compris – adhèrent à l’UGTT, et une proportion encore bien plus importante des travailleurs est couverte par des conventions collectives. Les syndicats ne peuvent être dissous que par décision judiciaire.
D’un point de vue juridique, l’UGTT et les syndicats qui la constituent sont indépendants du gouvernement et du parti au pouvoir ; toutefois, ils sont soumis à une réglementation qui limite leur liberté d’action. Les adhérents à l’UGTT sont issus de toutes les tendances politiques. Celle-ci tire ses revenus des modestes cotisations de ses membres et des activités d’une compagnie d’assurance et d’un hôtel dont elle est propriétaire ; elle touche en outre un certain pourcentage des cotisations annuelles qui sont versées à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). Le gouvernement a fait don à l’UGTT d’un terrain et de subventions pour la construction de son nouveau siège. En règle générale, la direction de l’UGTT poursuit une politique de coopération avec le gouvernement pour ce qui touche à son programme de réformes économiques. Son conseil national a pris des positions indépendantes sur les questions économiques et sociales et en faveur du développement de la démocratie dans le pays. En 2005, l’UGTT a refusé de désigner des candidats aux quatorze sièges qui lui ont été attribués au sein de la Chambre des conseillers qui venait d’être créée, invoquant le manque d’indépendance et de démocratie de la procédure de sélection et la répartition inéquitable des sièges. Elle a apporté son soutien à la LTDH et a mis ses locaux à la disposition des bureaux régionaux de la Ligue pour que cette dernière y tienne des conférences et des réunions.
La loi interdit toute discrimination par les employeurs à l’encontre des travailleurs syndiqués ; pour autant, l’UGTT a fait état de mesures antisyndicales prises dans le secteur privé, tels que le licenciement de délégués syndicaux et l’embauche d’intérimaires, qui ne peuvent pas se syndiquer. Dans certains secteurs, dont le textile, l’hôtellerie et le bâtiment, les intérimaires forment la plus grande partie de la main-d’œuvre. Le Code du travail protège cette catégorie de travailleurs, mais les lois pertinentes sont plus difficiles à appliquer que celles qui visent les autres salariés. Une commission présidée par un responsable de l’Inspection du travail doit approuver tous les licenciements. Cette commission se compose de représentants du ministère des Affaires sociales, de la Solidarité et des Tunisiens à l’étranger, de l’UGTT et de l’employeur.
b. Droit au syndicalisme et à la négociation collective
La loi garantit le droit au syndicalisme et à la négociation collective, et le gouvernement a respecté ce principe dans la pratique. Les salaires et les conditions de travail font l’objet de négociations triennales entre les syndicats membres de l’UGTT, le gouvernement et le patronat. De nombreuses conventions collectives fixent les normes du travail dans le secteur privé, dont elles couvrent 80 % de la main-d’œuvre.
Le droit de grève est reconnu à tous les syndicats, y compris à ceux de la fonction publique, à condition que toute décision de grève soit précédée d’un préavis de dix jours adressé à l’UGTT et approuvée par cette dernière. La Confédération syndicale internationale (CSI) a dénoncé l’exigence de l’aval de l’UGTT qu’elle assimile à une violation des droits des travailleurs, mais dans la pratique l’approbation de l’UGTT est rarement sollicitée. La loi interdit les représailles contre les grévistes, et le gouvernement a généralement respecté cette disposition. Les conflits du travail sont résolus par des commissions de conciliation composées d’une façon paritaire de représentants des travailleurs et du patronat. En cas d’échec de la conciliation, des commissions régionales d’arbitrage tripartites prennent la relève.
Les zones franches industrielles sont soumises à la législation du travail.
c. Interdiction du travail forcé ou obligatoire
La loi interdit le travail forcé ou obligatoire, y compris celui des enfants, et il n’a été signalé aucun cas d’infraction à cette loi. Toutefois, certaines familles ont placé leurs filles adolescentes comme domestiques et ont touché leur salaire.
d. Interdiction du travail des enfants et âge minimum d’admission à l’emploi
La loi interdit l’embauche des moins de 18 ans dans tous les types d’emplois susceptibles de présenter des dangers graves pour la santé, la sécurité et la moralité des enfants. L’UGTT et la CNSS ont effectué des visites d’usines et des sites industriels pour vérifier l’application de la loi.
La loi interdit le travail des enfants de moins de 16 ans, soit l’âge de fin de scolarité obligatoire, et des inspecteurs du ministère des Affaires Sociales, de la Solidarité et des Tunisiens à l’étranger ont contrôlé les registres tenus par les employeurs pour s’assurer du respect de cette interdiction. Toutefois, il n’a été signalé aucun cas de sanctions infligées à des contrevenants. L’emploi d’enfants est aussi une réalité dans le secteur non structuré, où il est présenté comme une forme d’apprentissage, en particulier dans l’artisanat.
L’âge d’admission des enfants au travail léger dans les secteurs non industriel et agricole, en dehors des heures de classe, est fixé à 13 ans. Les travailleurs âgés de 14 à 18 ans doivent avoir douze heures de repos par jour, lesquelles doivent être comprises entre 22 heures et 6 heures. Dans les secteurs non agricoles, les enfants âgés de 14 à 16 ans ne peuvent pas travailler plus de deux heures par jour. La durée totale passée par les enfants à l’école et au travail ne peut pas dépasser sept heures par jour. Pour autant, de jeunes enfants effectuent parfois des travaux agricoles ou travaillent comme vendeurs de rue en milieu urbain, essentiellement durant les vacances scolaires d’été.
e. Conditions de travail acceptables
Le Code du travail impose un salaire minimum garanti dans divers secteurs. En août, le gouvernement a porté le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) à 240 dinars (200 dollars) par mois pour une semaine de travail de 48 heures et à 208 dinars (173 dollars) celui d’une semaine de travail de 40 heures. Dans le secteur agricole, le salaire minimum garanti était de 7,84 dinars (6,53 dollars) pour les ouvriers agricoles spécialisés. Lorsqu’on lui ajoute l’indemnité de transport et les allocations familiales, le salaire minimum permet à un travailleur et à sa famille d’avoir un niveau de vie acceptable, mais qui couvre seulement les dépenses essentielles. Plus de 500 000 personnes travaillent dans le secteur non structuré, secteur auquel la législation du travail ne s’applique pas.
Les inspecteurs régionaux du travail veillent à l’application de la loi relative au salaire horaire. Ils contrôlent la plupart des entreprises environ une fois tous les deux ans. Le gouvernement a souvent du mal à faire respecter l’âge minimum d’admission à l’emploi, en particulier dans les secteurs non syndiqués de l’économie. Le Code du travail impose un régime uniforme de 48 heures de travail par semaine dans la plupart des secteurs et exige une période de repos de 24 heures par semaine.
Les emplois dangereux, par exemple dans l’industrie minière, le génie pétrolier et le bâtiment, font l’objet d’une réglementation spéciale, et le Ministère des Affaires sociales, de la Solidarité et des Tunisiens à l’étranger est responsable de l’application des normes relatives à la santé et à la sécurité sur le lieu de travail. Dans l’ensemble, les conditions et les normes de travail sont meilleures dans les entreprises à vocation exportatrice que dans celles qui produisent exclusivement pour le marché intérieur. Les salariés ont le droit de refuser de travailler dans des conditions dangereuses et ils peuvent porter plainte contre leur employeur qui prendrait des mesures de représailles à leur encontre pour avoir exercé ce droit.
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